Tuesday, July 17, 2012

Le Havre

Le Havre le 25 juillet 1848

Ma Juliette bien aimée,

J’ai été obligé de passer toute la nuit de samedi à dimanche à mettre tout bien en ordre dans la maison et à bien écrire tous mes comptes.

Dimanche matin, je suis allé payer Monsieur C, puis je suis allé voir Auguste et Monsieur N. Je te rassure ils, ne sont nullement contrariés que tu n’y sois pas allée. J'ai donné à Madame H l’adresse de C. Je pensais que tu lui avais donné les chenets et je ne lui ai pas demandé d’argent. J’ai aussi porté la pendule chez Monsieur G et il m’a remis trois lettres de recommandation, Monsieur M m'en a aussi donné une, ainsi que Monsieur V : J'ai ainsi cinq lettres de recommendation en plus de celle de Monsieur M, qui me feront toutes du bien, j’en ai l’espoir.

J’ai dîné dimanche soir chez Monsieur B. J’ai bavardé avec lui, plusieurs heures et j'ai pris des notes et je sais que cela, aussi, me servira beaucoup.

Je ne suis parti que dimanche soir à 11 heures de Paris, et j’ai bien fait. En voyageant ainsi de nuit, je n'ai pas eu à payer de dîner au Havre, ni de lit. J’ai dormi un peu dans le chemin de fer car il y avait deux nuits que je n’avais pas beaucoup dormi. Malgré toutes les inquiétudes de Paul, il ne m’est rien arrivé de dangereux dans cette traversée de nuit. En voyageant ainsi je n'ai payé ma place que 12 francs soit 3,50 francs de moins que si j'avais voyagé de jour. Cette économie était la bienvenue car j’ai eu 8,25 francs d’excédent de bagages. Ainsi Paul, qui voulait emporter toutes ses malles avec lui, aurait payé au moins 40 F pour sa place.

J'ai quitté Paris, après avoir réglé toutes mes affaires. Je n’ai pas laissé un centime de dette. Excepté l’argent emprunté, personne ne pourra dire après moi.J’ai payé la note du boulanger de juin et juillet. Je pensais que tu avais payé juin, mais ce n'était pas le cas. J’ai donné 5 francs au concierge pour les deux carreaux cassés, et 3 francs d’adieu. Ce sont, vraiment, de bien braves gens qui s’intéressent à nous et nous aiment bien.

J’ai reçu 4 francs des fossiers, 2 francs de Monsieur G et 4 francs de Monsieur S. Monsieur D m'a réglé les 95 francs qu'il me devait et Monsieur R m’a payé 65 francs. J’ai aussi été obligé de payer entièrement Monsieur F, qui n’a pas voulu attendre quelques mois de plus pour les 80 francs que je lui devais, ce qui m'a beaucoup géné.

Au final, malgré toute mon économie, il ne me restera pas plus de 130 francs pour le grand départ mais, d'après mes calculs, cela devrait être suffisant. Je ne vais pas dépenser un centime en route. Si ces 130 francs n’étaient pas assez pour payer la douane Chilienne, je pourrais toujours faire appel sur place à Monsieur M qui a l'air bien bon.

La dépense est en effet ici bien grande malgré mes précautions. Je dépense 3,50 francs par jour, ce qui est bien lourd. Je suis dans un des hotels les plus économiques du Havre mais le lit me coute 1 franc par jour, le déjeuner 1 franc et le diner 1,50 francs.

Me voilà dans la solitude et déjà séparé de toi, et je rumine à chaque instant notre pénible séparation. C'est avec une immense douleur que je te revois, ma bien aimée, monter dans la voiture et t'éloigner irrémédiablement vers Le Mans et si loin de moi. Oh, quelle grande douleur!


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