Monday, September 07, 2009

Bruno l'alcoolique.

Bruno a soif. Très soif. Et lorsqu'il manque de bière Bruno peut vite devenir très vindicatif.

Au loin, par delà la terrasse, je fixe la mer curieusement apaisée à l'anse de cette vallée perdue. Quelques macareux virevoltent dans leur livrée de clown au bec rouge, offrant au soleil les petits éclats d'argent des poissons qu'ils rentrent porter à leur nichée, sur la falaise de Latrabjarg. La plupart sont partis la semaine dernière pour la grande migration. Ne restent que quelques étourdis ou quelques éclopés.

Ici le sable est blanc, à l'inverse de celui des autres plages déversoirs de coulées noires basaltiques des volcans lunaires qui viennent vomir aux pieds des fjords. Sur la droite, à la lisière des herbus qui envahissent la plage, gît, tel un écrin abandonné, le petit cimetière où dorment le fils et la fille de Magnus. Péris en mer un soir d'hiver. Isolé par un fossé, un talus et un muret, l'îlot de pierre se protège pour que les gisants ne périssent pas deux fois sous la claque glacée des vagues.

Le silence est impressionant. On n'entend rien d'autre que Bruno et les trois chiens de bergers qui hurlent, attachés à leurs pieux en fixant au loin les moutons qui broutent sur la pente abrupte des falaises.

Il faut dire qu'on est au bout du monde içi. Le point le plus à l'Ouest de l'Europe m'a redit le petit berger qui joue avec Somi, le plus gros des trois molosses, en caressant à la naissance du cou sa toison noire et blanche. Tellement isolés que l'hotel servait autrefois de lieu de rétention pour les enfants récalcitrants.

Sur la petite chapelle au toit herbu, jouent deux guillemots avec leurs masques noirs.

La mère de Magnus est hilare. Si Bruno m'en veut personnellement c'est à cause d'elle. Elle vient de me coller une canette de bière à demie pleine dans la main. De la Viking Sterkur légère et blonde, faiblement alcoolisée. La préférée de Bruno.

Bruno m'envoie des coups de pattes et des coups de tête. Il veut sa bière. Biberon ou canette peu importe pourvu qu'il ait l'ivresse. Si sa mère ne l'avait pas abandonné à la naissance pour courir brouter l'herbe des falaises avec tous ses cousins noirs et blancs, Bruno ne serait pas un alcoolique.

20 comments:

24hcolo said...

Belle évocation, mon cher Gondolfo. Et comme toujours une chute à la hauteur de tes talents descriptifs. Peu importe ce que tu écris, on a toujours l'ivresse...

un ange passe said...

Bonsoir M. De gondolfo
merci pour votre visite dans mes Instants... La photo que vous semblez appréciée a été prise dans un pays magique, où je me rends parfois... L'envie me prend souvent de grimper sur le haricot magique, mais je reste...
Il me semble y avoir de belles choses à lire chez vous.
Le plaisir au bout des mots, à bientôt.
L'ange...

isabelle said...

Pauvre et sympathique Bruno... Et quelle belle histoire.

un ange passe said...

Excellent et extraordinairement bien conté. J'ai bien fait de m'y arrêter et de prendre mon temps...

Cath said...

Je l'aime Bruno et j'ai de la bière plein mon frigo, histoire de proposer toute la félicité du monde à une bête que tu nous rends aussi sympathique et attachante...

En peu de mots, toute une vie...

le koala said...

On s'y trouve. Face aux embruns glaçés, une odeur d'herbe, de varech et de mousse au fond des narines. Une poignée de tourbe ceuillie à tes pieds jetée dans la bière, et hop, voilà du whisky. Qui n'aurait pas déplu à cette bêlante bourrique de Bruno. Très bien vu ! L'islande ... ?

frasby said...

Quel magnifique récit ! Nous avons de la blanche de Bruges sur nos collines, je vous en garde une bien au frais pour votre "alcoolique".
Guillemots j'adore ! (Buffon m'avait fait découvrir le mot mais vous nous emmenez un peu plus en hauteur il me semble). Merci ...

Blue Jam said...

Une description et une atmosphère qui font mouches. Et une belle chute aussi :)
Bravo !

le koala said...

au fait non, gondolf, je crois que ton commentaire est bien passé mais "réintégré" à sa place chronologique. mais en ce moment c'est un vrai bordel, mon blog, il faut bien le dire. navré hein.

Jennifer M said...

Je m'en boirais bien une petite d'ailleurs, bien fraîche ! A la tienne ami du désert et encore bravo par ta belle prose (pour le fond et la forme).

Quichottine said...

J'ai hésité au départ sur l'identité de Bruno... et j'ai adoré la façon dont vous amenez la dernière image.

Encore un très beau texte.

Merci.

soleil sucre said...

j aime venir me reposer chez toi et lire tes fabuleuses descriptions
c est chaque fois une ambiance de r^ve et ta façon de décrire est magique merci de ce partage pour tous ces voyages.........

Laudith said...

A défaut de bière ce sont tes mots que j'ai bu avidement.

Merci pour cet agréable moment de lecture.

Anonymous said...

Vous nous manquez, Monsieur de Gondolfo !
Merci d'avoir pris le temps de me lire.

passantepensante said...

une petite nouvelle dont j'aime la chute et les mots qui me promenent.
B.

Cécile Thérèse Delalandre said...

A vous lire, je me dis que l'appareil photo est inutile. Vos mots sont si magnifiquement images, odeurs, sons, brise.. que la téléportation a opéré instantanément. Je me suis retrouvée assise "sur la pente abrupte des falaises", et là, j'ai observé, amusée, ce Bruno alcoolique et sympathique...
Merci Marc pour cet instant de paix *_*

soleil-sucre said...

où est passé notre beau poète voyageur?
enfoui dans l été indien canadien
ou en train de rédiger une belle
histoire pour nous

amitiés du soir en passant
bon dimanche et bises

P'tite Plum said...

Un petit lien pour rire ! http://www.leoscheer.com/man/spip.php?page=man&id_article=638

nina de zio peppino said...

Une ambiance bien singulière.

Michel M said...

C'est beau et fort bien écrit ... et cela m'a donné envie de parcourir d'autres passages de ton blog ... je reviendrai ... bonne continuation ...