Saturday, February 16, 2008

Henri de Naxi


Nous traversons d'abord le salon d’apparat sombre et plein d’ombres, puis le salon de danse où rougeoient des lampes à pétrole allumées sur les rebords des fenêtres. Les flammèches qui dansent derrière leurs verres, donnent un air fantomatique aux lourdes tentures. Sylvia marche en glissant devant moi. Elle pousse une porte, puis une autre, et m’entraîne enfin dans le fumoir vers un grand bureau Empire. Elle y a déposé, religieusement, un grand ouvrage relié, illustré d’une collection de roses par Redouté. Elle s’assoit en silence.

Je l’observe tourner lentement l’ouvrage page après page. Un grand encart blanc cartonné, puis en son milieu une tache de rose et de vert, avec un hiéroglyphe savant de botaniste, qui décrit la fleur. Je suis penché sur son cou. Les roses exhument un parfum suave et frais d’enfance. Leurs pétales doucereuses s’ouvrent une à une. Les tiges vertes opiacées aux épines vives luisent d’un vert hypnotique.

Elle tourne les pages.

« Sylvia. Je t’ai apporté un cadeau. »
« Un cadeau ? » Elle m’observe dans son dos, le cou tordu, avec de grands yeux ouverts et attentifs.

Je lui tends le petit paquet ficelé. Elle l’ouvre lentement après l’avoir posé sur le bureau. Ses mains, ses bras roses, jouent d’un archet invisible et s’animent.

Elle découvre un écrin capitonné. A l’intérieur sont enchassés deux bâtons de rouge à lèvres. L’un est rouge carmin et sombre, l’autre est rouge vif et sang.

Elle se retourne et me regarde. Fuyant son regard, je fixe au mur, sous la lumière vacillante, un tableau hollandais représentant un vieil homme en clair obscur qui scrute hagard une courtisane affalée sur son canapé.

« Vous voulez que j’en mette maintenant monsieur de Naxi ? »

« Oui j’aimerai bien s’il te plait »

Elle se déplace jusqu’à un miroir de sorcière pendu au mur, à l’ovale convexe et déformant qui la dédouble de façon troublante et inquiétante et applique calmement sur ses lèvres le plus rouge des deux. Elle est comme un fruit rouge et vivant qui palpite. Puis elle défait ses cheveux de leur ruban, se retourne vers moi et fait tomber sa robe, découvrant deux seins aux parfaites aréoles.

« Pour moi ce sera la première fois » me dit elle.

Je la regarde dans la pénombre, si fraîche avec ses seins ronds qui se dressent fièrement devant moi. Elle tremble un peu.

Bien plus tard, à la naissance de l’aube, sous le baldaquin étoilé du lit, au premier étage, j’ai signé « Beau Rivage » sur son dos avec le bâton rouge carmin, celui qui a un curieux goût de bonbon sous la langue. Puis je suis parti très vite, comme un voleur.

En traversant le salon de musique déserté, j’ai vu dans la vitrine, que le violoncelle en faïence bleue de Quimper, pièce maîtresse de l'exposition, était fêlé.


* * *

« San Michele ? Pourquoi pas ? J’adore les cyprès. »

Le motoscafo Riva glisse dans un ronronnement régulier du moteur jusqu’au débarcadère. L’écharpe blanche d’Elodia flotte librement. Henri prend doucement la main gantée dans la sienne. La vedette ralentit pour aborder le ponton. Henri l’aide à descendre. Elle a mis sur sa tête un fichu, qui lui donne un petit air d’actrice des années trente. Elle porte un grand sac de cuir avec elle, beaucoup plus encombrant et lourd qu’un sac à main. Elle sourit. Sa jupe bleu pâle est fendue très haut. Une bonne odeur mi marine, mi d’herbe humide envahit l’air. Elodia passe rapidement l’enceinte de briques rouges ceinte de ses petites tourelles à trois arcades coiffées de pierre blanche. Elle évite le monastère, et l’entraîne vers un columbarium. Au coeur du vaste mur, des tombes sont fichées en hauteur sur plusieurs étages. Elles portent parfois des médaillons avec des photos, parfois quelques fleurs en plastiques ou un bout de feuillage d’autrefois. Elodia escalade une lourde échelle métallique à quatre roulettes qui permet l’accès aux tombes les plus hautes.

Elle ne porte rien sous sa robe. Ses jambes rougeoient sous le soleil couchant qui transperce le feuillage des cyprès. D’un geste de la main elle dépoussière un verre, pour mettre à jour la photo noire et blanc d’une vieille femme au sourire énigmatique.

« Maria… je l’ai connue tu sais. Il n’y a pas assez de place dans le cimetière, alors au bout de douze ans, c’est ici qu’on les met... »

* * *

Ouest France

« Mort mystérieuse d’un homme à Saint-Malo : Ce matin, à neuf heures, la police a retrouvé le corps d’un homme d’une cinquantaine d’année, sans papiers, flottant dans le bassin Vauban. Sa mort reste mystérieuse : chute accidentelle ou crime ? La mort remonte sans doute à la veille au soir, au plus fort des festivités d’ouverture du festival. L’homme, sans doute un vagabond, n’est pas connu des services de police. L’autopsie devrait révéler de manière plus précise les conditions de la mort. La police recherche des témoignages pour élucider le mystère. »




* * *

14 comments:

Rosie said...

C'est gentil de nous partager cet extrait de l'auteur Henri de Naxi, j'ai bien aimé.

Merci de ta gentille visite sur mon blogue, cela m'a bien fait plaisir, reviens quand tu veux.

Bon mercredi et bisous de ta p'tite cousine du Québec.

Rosie said...

Un p'tit coucou en passant.

Bon jeudi et bisous de ta p'tite cousine du Québec.

Christie said...

C'est toujours sympa de lire des extraits d'auteurs que l'on ne connait pas forcément. Il y en a beaucoup.
La littérature c'est un coin de bonheur dans l'univers des mots!

Anonymous said...

De grands et beaux voyages à faire par chez toi... je reviendrai et merci de ta visite sur ma palette! @+
Chris

Anonymous said...

Merci pour ce partage des plus intéressant.

En vous souhaitant un week-end aussi agréable que la lecture de cet extrait.

Anonymous said...

merci pour la visite sur mon blog et je suis agréablement surprise par le tien ; un vrai plaisir des mots que je viens de trouver en arrivant ici; merci!!!!!

Anonymous said...

Merci pour cet extrait qui nous transporte loin ....

Anonymous said...

dangereux cet homme amoureux ...

un extrait de roman bien captivant ..

merci de ta visite et bonne journée

Anonymous said...

Merci d'être venu, d'avoir lu.
J'aime beaucoup vos photos. Pas eu le temps de lire les textes longs mais je reviendrai.

Lounde713 JCP said...

Bonjour, on pense un peu à Zola en lisant cet écrivain que je ne connais pas ...

... Et merci pour ton Soulier d'Or !

A+ JCP

Lounde713 JCP said...

Bonjour, on pense un peu à Zola en lisant cet écrivain que je ne connais pas ...

... Et merci pour ton Soulier d'Or !

A+ JCP

Anonymous said...

Un remake des " Dix petits nègres " ?
Mais on connaît déjà l' assassin....:)

Marc de Gondolfo said...

belle déduction clo, mais justement non, on croit seulement connaitre l'assassin ! :)

Anonymous said...

Coucou, Et bien voilà, c'est un petit commentaire pour te dire « Un petit au revoir ». Je me suis déjà beaucoup éloignée de ton blog, faute de temps à cause de fatigue souvent dû à ma maladie, Et maintenant …, OB déconne complètement depuis 15 jours je suis un peu écoeuré j’ai eu beaucoup de mal a faire ce blog et maintenant j’ai beaucoup de chose a refaire. J’effacerai pas mon compte, j'ai seulement décidé de mettrent temps en temps des articles pré dater sur mon blog et d’y faire une pause. Avant de partir, (je ne sais pas combien de temps) je voulais juste te dire « merci », à toi qui m'a lu. Ce blog La douceur de la Rose et pour moi des belles promenades qu’il mon permit de faire des jolies rencontres. Je continuerais, plus ou moins régulièrement et avec beaucoup de plaisir de visiter ton blog, Je n’oublierais pas toutes ta gentillesse et tes petits commentaires qui m’on souvent mis le sourire aux lèvres et qui m’ont fais gardé la morale. Je te fais des Bisous …………..Rose