Friday, April 07, 2006

Zone

Alcools. Zone. Appolinaire

Voilà la poésie ce matin, et pour la prose il y a les journaux. Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policières. Portraits des grands hommes et mille titres divers. J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom. Neuve et propre du soleil elle était le clairon. Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes, Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent. Le matin par trois fois la sirène y gémit. Une cloche rageuse y aboie vers midi. Les inscriptions des enseignes et des murailles, Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent. J'aime la grâce de cette rue industrielle. Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes. C'est le beau lys que tous nous cultivons. C'est la torche aux cheveux roux que n'éteint pas le vent. C'est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère. C'est l'arbre toujours touffu de toutes les prières. Maintenant tu es au bord de la Méditerranée. Sous les citronniers qui sont en fleur toute l'année. Avec tes amis tu te promènes en barque. L'un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques. Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs. Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur. Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague. Tu te sens tout heureux une rose est sur la table. Et tu observes au lieu d'écrire ton conte en prose. La cétoine qui dort dans le coeur de la rose. Épouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit. Tu étais triste à mourir le jour où tu t'y vis. Tu ressembles au Lazare affolé par le jour. Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont à rebours. Et tu recules aussi dans ta vie lentement. En montant au Hradchin et le soir en écoutant, Dans les tavernes chanter des chansons tchèques. Te voici à Marseille au milieu des pastèques. Te voici à Coblence à l'hôtel du Géant. Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon. Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide. Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde. On y loue des chambres en latin Cubicula locanda. Je m'en souviens j'y ai passé trois jours et autant à Gouda. Tu es à Paris chez le juge d'instruction. Comme un criminel on te met en état d'arrestation. Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages. Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'âge. Tu as souffert de l'amour à vingt et à trente ans. J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps. Tu n'oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter. Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a épouvanté. Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants. Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants. Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare. Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages. Ils espèrent gagner de l'argent dans l'Argentine. Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune. Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre coeur. Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels. Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges. Je les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rue, Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs. Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque. Elles restent assises exsangues au fond des boutiques. Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux. Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux. Tu es la nuit dans un grand restaurant. Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant. Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant. Elle est la fille d'un sergent de ville de Jersey. Ses mains que je n'avais pas vues sont dures et gercées. J'ai une pitié immense pour les coutures de son ventre. J'humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche. Tu es seul le matin va venir. Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues. La nuit s'éloigne ainsi qu'une belle Métive. C'est Ferdine la fausse ou Léa l'attentive. Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie. Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie. Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied. Dormir parmi tes fétiches d'Océanie et de Guinée. Ils sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyance. Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances. Adieu. Adieu. Soleil cou coupé.

GA

Pardonne moi ces dérapages, dans tes virées de Bohème.
Par la beautée sauvage, mystique, tripetique, de ce poème.
Par cette soif inextinguible, sourde et brulante.
Tu nous brule allègrement, avec ta mèche lente.

2 comments:

Henri said...

Tu nous brûles avec ta mèche
est audacieux, d'hab c'est la mèche qui brûle ...

Marc de Gondolfo said...

mon cher henri (if i may)

si la mèche brule, c'est qu'elle est allumée (elle aussi, n'est il pas ?)

non seulement je ne retire rien
mais je prends même cela pour un compliment

car enfin l'audace
c'est le contraire de fadasse

(n'est il pas ? :) )